Séminaire de CLLE-ERSS (UMR 5263)

Jeudi 17 mars 2016, 14h00 - 15h30 (salle E412, Maison de la Recherche 2)

Journées d’étude S’caladis

Espace linguistique et dynamicité :
quelques points de vue récents sur l'expression du déplacement en français

Résumés

14:00 - 14:45
Dejan Stosic (CLLE-ERSS, Univ. Toulouse J. Jaurès)
Ce que le codage lexical de la manière du déplacement nous apprend sur la manière

Au sein de la classe des verbes de déplacement en français, on identifie environ cent soixante items exprimant la manière du déplacement : courir, marcher, voler, louvoyer, chevaucher, etc. (cf. Laur 1991, Sarda 1999, Aurnague 2008, 2011, Stosic 2009). Au vu de la diversité des sens décrits par ces verbes, il est légitime de se demander en quoi consiste la valeur de manière qui semble constituer le trait définitoire de la sous-classe et en quoi ces verbes se distinguent d’autres verbes de déplacement (ex. entrer, monter, passer). Ces questions méritent d’autant plus d’être posées que la notion de manière, bien qu’abondamment utilisée en linguistique, reste mal définie du point de vue sémantique. L’étude du sens lexical de l’ensemble des verbes de manière de déplacement en français permet de dégager une dizaine de paramètres sémantiques déclenchant l’interprétation de manière : VITESSE (courir, filer, flâner), TRAVAIL DU CORPS (marcher, boiter, trotter), ABSENCE DE BUT (errer, trainer), INSTRUMENT (chevaucher, ramer), FORME DE LA TRAJECTOIRE (zigzaguer, défiler), etc. La manière apparaît ainsi comme un faisceau de paramètres plus basiques en nombre très limité qui, par un mécanisme spécifique, modifient un prédicat de déplacement général (ALLER ou SE DEPLACER) présent dans le sens lexical des verbes de déplacement. Cette façon de définir la manière au niveau lexical présente plusieurs avantages : elle offre la possibilité de procéder à une analyse plus fine du sens lexical des verbes, elle évite un usage intuitif de la notion de manière et elle est extrêmement économique car transférable à d’autres domaines sémantiques. Par exemple, les verbes de manière de parler mitrailler et déraisonner exploitent respectivement les traits de VITESSE et d’ABSENCE DE BUT (cf. Moline & Stosic sous presse).

Références

Aurnague, M. (2008). "Qu’est-ce qu’un verbe de déplacement ? : critères spatiaux pour une classification des verbes de déplacement intransitifs du français". In J. Durand, B. Habert & B. Lacks (éds), Actes du Congrès Mondial de Linguistique Française, CMLF’08. Paris: ILF & EDP Sciences, 1905-1917.
Aurnague, M. (2011). "How motion verbs are spatial: the spatial foundations of intransitive motion verbs in French". Lingvisticae Investigationes 34:1, 1-34.
Laur, D. (1991). Sémantique du déplacement et de la localisation en français : une étude des verbes, des prépositions et de leurs relations dans la phrase simple. Thèse de doctorat. Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail.
Moline, E. & Stosic, D. (sous presse). L'expression de la manière en français. Paris/ Gap: Ophrys.
Sarda, L. (1999). Contribution à l'étude de la sémantique de l'espace et du temps : analyse des verbes de déplacement transitifs directs du français. Thèse de doctorat. Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail.
Stosic, D. (2009). "La notion de 'manière' dans la sémantique de l'espace", Langages 175, 103-121.

 
14:45 - 15:30
Dejan Stosic (CLLE-ERSS, Univ. Toulouse J. Jaurès) & Dany Amiot (STL, Univ. Lille)
Les verbes de déplacement et la morphologie évaluative

Il existe un éventail très large d’unités, structures et procédés linguistiques qui participent à l’expression de la manière en français. Ils relèvent de différents niveaux d’analyse linguistique : syntaxique (ex. d’un air timide, à haute voix), lexical (ex. courir, murmurer, dévorer), grammatical (ex. comment, comme), morphologique (ex. rapidement, docilement) (cf. Stosic 2011, Moline & Stosic sous presse). Si, dans le domaine morphologique, la formation des adverbes en –ment est un procédé bien identifié, il n’en est pas nécessairement de même de la formation des verbes par la morphologie évaluative (suffixation par –et(er), ot(er), ass(er), etc.), qui permet en effet d’exprimer l’existence d’un écart entre le procès dénoté par la base et celui dénoté par le dérivé, ce dernier étant généralement interprété comme non-conforme au premier : voleter n’est pas pleinement voler et sautiller signifie ‘se déplacer par petits bonds, faire de petits bonds’. Le TLFi recense environ 200 verbes de ce type (ex. travailloter, pleurnicher, écrivasser, criticailler, etc.) (cf. Amiot & Stosic 2011, Stosic & Amiot 2011).
S’agissant de verbes de déplacement en français, il est curieux de constater que rares sont ceux qui servent de bases à la suffixation évaluative : courir > courailler; flâner > flânocher, flânot(t)er; marcher > marchot(t)er; nager > nageot(t)er; sauter > sautiller; traîner > traînailler, traînasser; trotter > trottiner; voler > voleter; voyager > voyageotter, etc. Une première explication pourrait venir du caractère peu productif de la morphologie évaluative en français (cf. Fradin 2001, 2003). Cependant, cette hypothèse s’avère peu plausible puisque dans certaines langues réputées avoir une morphologie évaluative bien développée, comme l’italien (cf. Grandi 2009) ou le serbe (cf. Stosic 2013), on trouve à peine quelques items supplémentaires ; la grande majorité des verbes de déplacement, en particulier entrer, sortir, passer, traverser, ne semble pouvoir servir de base à une suffixation évaluative. Ce sont plutôt des verbes de manière de déplacement de base (cf. Wienold 1995) qui se prêtent à l’évaluation.
Dans notre intervention, nous nous proposons premièrement de saisir la spécificité des verbes de déplacement qui admettent la morphologie évaluative, deuxièmement d’examiner différents facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi le domaine sémantique du déplacement est si peu propice à l’évaluation.

Références

Amiot, D. & Stosic, D. (2011). "Sautiller, voleter, dansoter : évaluation, pluriactionnalité, aspect". In E. Arjoca-Ieremia, C. Avezard-Roger, J. Goes, E. Moline & A. Tihu (eds), Temps, aspect et classes de mots: études théoriques et didactiques. Arras: Artois Presses Université, 277-297.
Frandain, B. (2001). "À propos du suffixe -ET". Le français moderne LXIX 1, 86-98.
Fradin, B. (2003). "Le traitement de la suffixation en –et". Langages 152, 51-77.
Grandi, N. (2009). "Restrictions on Italian Verbal Evaluative Suffixes: The Role of Aspect and Actionality". York Papers in Linguistics Series 2 10, 46-66.
Moline, E. & Stosic, D. (sous presse). L'expression de la manière en français. Paris/ Gap: Ophrys.
Stosic, D. (2011). "Le sens de manière comme critère de définition d'un paradigme". In F. Hrubaru & E. Moline (éds). La Construction d’un paradigme, Actes du XVIIe Séminaire de Didactique Universitaire. Recherches ACLIF. Cluj: Echinox, 117-142.
Stosic, D. (2013). "Manner of motion, evaluative and pluractional morphology". Oslo Studies in Language 5(1), 61-89.
Stosic, D. & Amiot, D. (2011), "Quand la morphologie fait des manières: les verbes évaluatifs et l’'expression de la manière en français". In Amiot, D., De Mulder, W., Moline, E. & Stosic, D. (éds), Ars Grammatica. Hommages à  Nelly Flaux. Bern: Peter Lang, 403-430.
Wienold, G. (1995). "Lexical and conceptual structures in expressions for movement and space: With reference to Japanese, Korean, Thai, and Indonesian as compared to English and German". In U. Egli, P. Pause, C. Schwartz, A. von Stechow and G. Wienold. Lexical Knowledge in the Organization of Language. Amsterdam/ Philadalphia: John Benjamins, 301-340.

 
Date de dernière mise à jour: le 22 février 2016