Rencontres « Sémantique et Corpus »
Ce que l'analyse de corpus apporte à la réflexion sur le sens

Comparaison de corpus pour l'étude de la réduction de termes complexes
Marie-Paule Jacques (ERSS, Université de Toulouse-le Mirail)

La première partie de notre exposé explicite le phénomène auquel nous nous intéressons, la réduction des termes complexes, et retrace le cheminement qui nous a conduit à l'étude de ce phénomène.
Ce que nous appelons « réduction » renvoie au fait que, dans le fil du discours, il est possible qu'une partie seulement des constituants des termes complexes soit réalisée, la plupart du temps la tête du terme. Par exemple, dans le corpus initial de notre étude – un ensemble de textes produits dans le cadre d'activités professionnelles liées à la gestion des déplacements dans l'agglomération toulousaine –, contrôleur est une réduction possible du terme contrôleur de carrefour.
Une étude terminologique – dont la teneur sera récapitulée – nous a permis d'observer dans ce corpus un autre type de réduction du terme complexe, qui consiste à en effacer la tête. Ainsi, contrôleur de carrefour peut être évoqué par son expansion : carrefour. De la même manière, conduite d'opération, développement, terrain, pour n'en citer que quelques-uns, permettent-ils dans le discours de désigner respectivement équipe de conduite d'opération, équipe de développement ou équipements de terrain.
Ce dernier type de réduction – sur lequel nous nous focalisons – est absent de la littérature sur les variations des termes complexes, ce qui nous a amenée à la question du statut de ce phénomène : doit-on le considérer comme un phénomène marginal, qui serait spécifique du corpus étudié, un jargon professionnel propre au domaine ou s'agit-il de l'exploitation d'un mécanisme linguistique révélateur des possibles du système ? Ceci pose plus généralement la question du statut des faits observés lors d'analyses de corpus.
L'une des façons d'apporter des éléments de réponse nous semble être l'examen d'autres corpus spécialisés, un examen guidé par deux objectifs : d'une part, la vérification de l'existence de cette réduction dans des textes produits dans d'autres domaines, d'autre part, la description comparative de la manière dont cette réduction se produit dans les divers corpus.
La seconde partie de notre exposé est donc consacrée à la description du comportement discursif de l'effacement de la tête dans deux corpus spécialisés, le corpus de textes professionnels évoqués ci-dessus et un corpus d'articles de presse spécialisée dans le vol libre.
En examinant :
  • la structure des termes concernés par l'effacement de la tête,
  • les contextes d'occurrence des termes pleins et des termes réduits,
  • les possibilités de reprise anaphorique du terme réduit par le constituant effacé,
  • la position relative du terme réduit par rapport à la forme pleine,

il apparaît nettement que ce qui se présente comme un même phénomène de surface – la tête du terme complexe est effacée – repose dans chacun des corpus sur des mécanismes distincts.
Dans le premier corpus, l'effacement semble plutôt lié à la dynamique discursive, il se construit une dénomination relativement autonome, dans le sens où chacune de ses occurrences n'est pas tributaire de la précédence immédiate du terme plein, mais non indépendante, dans la mesure où divers indices manifestent le maintien d'une relation étroite entre terme plein et terme réduit.
Dans le second corpus, l'effacement correspond davantage à un processus de création lexicale. Le comportement du terme réduit présente une grande partie des caractéristiques de ce qui a été décrit dans le champ de la créativité lexicale (cf. Guilbert, 1975, La créativité lexicale). L'indépendance et l'autonomie du terme réduit sont totales.
Ce résultat n'apporte a priori pas d'éléments qui permettraient d'attribuer à la réduction telle qu'elle se présente dans le premier corpus un caractère de généralité. Il ne nous semble pas pour autant que l'on doive la considérer comme un phénomène marginal, limité à ce corpus. En effet, le discours journalistique notamment [1] offre un certain nombre d'exemples d'effacement de la tête de syntagmes complexes :
« Que ce soit à l'Intérieur ou à la Justice, on plonge les mains dans le cambouis des affaires pour éviter aux amis le sort du justiciable ordinaire. » Libération 20/01/00. (« Ministère de l'Intérieur ou de la Justice »)
« La liste du PCF pour les européennes divisée. »Titre, Le Monde 28-29/03/99. (« élections européennes »)

Cela incite, pour la description du procédé, à ne pas se limiter à l'étude de textes spécialisés mais à prendre en compte d'autres sortes de discours.



[1] Nous remercions Michelle Lecolle de nous avoir communiqué ces exemples.