Next: Caractérisation de plusieurs isotopies
Up: L'isotopie approfondie
Previous: Isotopie et niveaux sémantiques
Intéressons-nous avant cela aux différents types d'isotopie, et aux
propriétés qui les caractérisent. Nous disposons, sur la base du
statut des sèmes, de deux dichotomies permettant de caractériser
plusieurs types d'isotopies :
-
- Isotopies génériques : il y en a trois,
types, autant que de sèmes génériques.
- Les isotopies microgénériques traduisent une cohésion très
forte du discours qui les supportent. Par exemple : <<Le couteau
se place à droite, et la fourchette à gauche de l'assiette>>
s'inscrit fortement dans ce taxème //couverts// qui nous
accompagne depuis le début. Dans le cas d'une définition en langue
du taxème, une telle isotopie traduit des rapports extrêmement
précis entre ses sémèmes, et une grande spécificité du texte. Dans
le cas d'une justification contextuelle du taxème, une telle
isotopie est en fait fondatrice d'un taxème local :
parmi l'ensemble des possibilités du discours, son repérage
indiquera l'identité du taxème.
- Les isotopies mésogénériques apportent ce que F. Rastier appelle
une impression référentielle, par la confirmation qu'elles
opèrent du respect d'un univers et de pratiques sociales. Par
exemple <<L'amiral fit carguer la voile>> produit un tel
effet. Cette distinction d'avec d'éventuels effets référentiels
produits par une isotopie microgénérique nous échappe cependant.
- Les isotopies macrogénériques peuvent par contre s'abstraire à
un certain point du respect des classes sémantiques classiques.
Par exemple <<Le chat du commissaire aime regarder les oiseaux>>
est le siège d'un telle isotopie via le sème /animé/, même si la
pertinence d'une telle récurrence n'est guère évidente (si ce
n'est par son extension aux sémèmes 'aime' et 'regarder', qui
serait sans doute laissée pour compte dans une approche IA
classique). Bien des isotopies macrogénériques sont dans ce cas.
Par contre, pour aborder des phrases comme <<Les avions à réaction
sont les grille-pains des anges>>, une telle isotopie du sème
/concret/ ou /matériel/, une des plus aisées à mettre en place
face à un énoncé aussi disparate, peut être un premier pas
organisateur.
-
- Isotopies spécifiques : elles présentent
l'intérêt majeur de présenter des liens sémantiques entre sémèmes de
classes différentes. Elles permettent ainsi, face à des classes
sémantiques fortement stabilisées de traduire des effets poétiques
et/ou métaphoriques. F. Rastier cite l'exemple du vers <<L'aube
allume la source>> de Éluard comme siège de la récurrence du sème
/inchoativité/, dont le rôle spécifique apparaît dans au moins trois
taxèmes différents. Cet aspect de l'isotopie donne également un
rôle organisateur transversal aux sèmes spécifiques, qui est
d'ailleurs quelque peu gênant conceptuellement, et sur lequel nous
reviendrons par la suite. De telles isotopies ne peuvent être
établies qu'une fois les classes sémantiques mises en place, avec
l'expression de leur organisation interne.
-
- Isotopies mixtes (selon la généricité): ce
sont les isotopies qui ne sont ni purement spécifiques ni purement
génériques. Il faut noter que la généricité est obligatoirement
homogène, même dans une isotopie mixte : un même sème ne peut servir
à dénommer un taxème et un domaine. Par contre, un sème
microgénérique peut avoir un rôle spécifique dans un autre taxème
que celui qui lui est propre. Par exemple, 'Dimanche`, dans le
taxème des //jours de la semaine// peut être distingué des autres
par une notion de /religion chrétienne/, cette même notion étant
tout à fait acceptable pour dénommer un taxème contenant 'église',
'pape' et autres 'carême'. Le repérage d'une telle isotopie se fait
a priori à partir de sa partie générique et par extension,
sans pour autant faire appartenir les autres sémèmes qui la
supportent à la classe originelle.
-
- Isotopies inhérentes : c'est principalement de
celles-ci que nous avons parlé précédemment. Elles correspondent à
des interprétations <<classiques>> respectant des normes stables.
-
- Isotopies afférentes : le problème de
l'afférence n'étant toujours pas résolu, nous nous contenterons de
reprendre les remarques de F. Rastier à leur propos. Une isotopie
afférente relève d'une interprétation par des normes plus locales et
relatives. L'isotopie de /carrière/ dans Le rouge et le
noir est ainsi typiquement afférente. De telles isotopies peuvent
également résulter de ces interprétations qui calquent sur un texte
a priori décorrélé des thèmes psychanalytiques et/ou
religieux. Le repérage d'une telle isotopie ne peut se faire
qu'après la mise en place d'isotopies inhérentes dont les
schémas structurels peuvent inspirer une translation thématique.
-
- Isotopies mixtes (selon l'inhérence) : encore une fois la souplesse est de
mise, et certaines isotopies peuvent posséder des parties inhérentes
et afférentes. Il s'agirait, comme dans le cas précédent, de
l'extension directe d'une isotopie inhérente vers d'autres zones
d'un texte, toujours par un principe de présomption d'isotopie,
présomption qui alors porte surtout sur la taille extensionnelle de
l'isotopie, et de sa couverture syntagmatique.
D'autres critères, syntagmatiques ceux-là, peuvent également
intervenir dans la caractérisation d'une isotopie. En jouant sur la
dualité de la notion, une isotopie peut être vue comme une classe de
repérages de signifiants dans la chaîne ordonnée du discours. Dès
lors, nombre de critères numériques interviennent, dont nous ne
pouvons nous empêcher de nous réjouir, au vu de nos préoccupations
informatiques. Citons-les sans ordre précis, puisque nous les
évaluerons en détail une fois la notion d'isotopie formellement éclaircie.
-
- Poids : simplement le nombre de sémèmes couverts par
une isotopie, soit un nombre brut, soit un taux de couverture de
l'ensemble du texte.
-
- Volume : étendue du texte couverte entre le premier
et le dernier (dans l'ordre de la chaîne du texte) sémème de
l'isotopie.
-
- Densité : comme le nom l'indique, le rapport poids /
volume, qui traduit simplement la force d'une isotopie dans sa zone.
Une énumération thématique, par exemple, aura une très forte
densité.
-
- Taux de systématicité : de simples caractérisations
numériques des taux de sèmes d'un certain type dans une isotopie
mixte (aux deux sens de la mixité). Ces taux dépendent bien entendu
plus de l'ordre paradigmatique que les précédentes notions.
Ces aspects calculatoires, quoique simples, sont une porte ouverte par
la seule informatique vers d'autres aspects, cette fois non
modélisables, du même ordre que ceux proposés par les analyses
statistiques de corpus.
Next: Caractérisation de plusieurs isotopies
Up: L'isotopie approfondie
Previous: Isotopie et niveaux sémantiques
Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 17:04:33 MET 1997