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Syntaxe linguistique et syntaxe formelle

Nous nous interrogerons ici sur la séparation syntaxe / sémantique telle qu'elle est définie dans les systèmes formels. Cette distinction, entièrement justifiable dans un rôle formalisateur très général en logique, semble impliquer une projection directe dans la langue, renforcée par d'autres analogies (morphologique et pragmatique), comme indiqué par la figure gif, alors que la syntaxe de la langue n'est pas indépendante. En témoignent déjà les travaux de Benvéniste [5, 6] et sa reconnaissance du fait que le sens de la phrase influe sur le sens des mots. Pour résumer son raisonnement, disons que ce sont les rapports forme / sens qui traduisent ces notions de composition. La forme d'une entité est sa composition en entités inférieures et son sens est fonction de sa place dans une entité supérieure. Ainsi, la forme de la phrase ne peut être la suite des mots qui la composent, car le sens de ces mots dépend de celui de la phrase, et elle n'a pas de sens puisqu'elle ne rentre pas dans la composition logique (propositionnelle) d'une autre entité, étant elle-même une proposition.

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Figure: Systèmes formels et niveaux linguistiques traditionnels

Ceci récuserait donc le principe de compositionnalité du sens, qui posait déjà des problèmes à Frege (cf. son article Sens et dénotation dans [14]), et a motivé l'arrivée des logiques intensionnelles. De ces problèmes que pose la compositionnalité, nous retiendrons également la centrale question de l'identité des unités sémantiques, dont nous parlerons plus loin, en discutant de l'approche différentielle. La possibilité ou impossibilité de substituer des unités linguistiques d'un contexte à l'autre présuppose en effet une identité de ces unités au travers de leurs diverses utilisations : il s'agit d'une identité de forme, mais que dire alors de la polysémie ? La notion d'identité sémantique devra donc être considérée avec attention, et devra sans doute être construite et non présupposée. Nous verrons plus loin la nécessité de la considérer comme construite par le sujet qui traite l'énoncé, en y intégrant des données externes, relatives à la situation de ce traitement.

Même dans l'hypothèse d'une influence mutuelle des différents sens des mots dans la phrase, on serait conduit à une complexité exponentielle (au sens technique du terme, il s'agit d'un problème NP-complet), qui de toute façon supposerait une connaissance absolue des significations et emplois possibles pour chaque élément.

Si la syntaxe possède cette vertu compositionnelle, si toute phrase isolée peut être analysée de façon grammaticale, alors le sens ne peut s'y réduire, il fait entrer en jeu des considérations qui dépassent au moins la limite de la phrase : d'où la nécessité d'un recours au contexte, et ce contexte est plus qu'une phrase, voire quelques phrases.

À ce propos, la notion de contexte a récemment connu une poussée productive. Mais les récentes interrogations formalistes sur le contexte (voir par exemple [9] et [39]) ne traduisent pas autre chose. La constante mise en situation ou contexte de l'unité linguistique (constante quelle que soit la nature de cette unité) ne peut qu'infléchir les développements dans la recherche d'une description formelle de ce contexte. Cependant, le contexte est plus que cela, il est plus qu'une fonction de choix des sens possibles, plus que la trace d'une heuristique sémantique (comme il est souvent invoqué dans certaines approches du TALN, comme [7]). C'est un moment essentiel dans la constitution de l'objet linguistique : il ne vient ni après ni avant mais en même temps que lui.


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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 16:57:51 MET 1997