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Langage et information

On peut dans un premier temps repérer deux faces générales intéressant le sens : la génération et la compréhension. Leur comparaison offre dès lors la possibilité d'en envisager la symétrie. Si cette symétrie est reconnue, quelles hypothèses implique-t-elle sur la nature de la langue, et quelles influences sur son traitement ? Si ces deux aspects transparaissent dans les plus ambitieuses des applications envisageables, traduction et dialogue homme/machine, cette situation doit-elle impliquer une symétrie ?

Si nous reprenons un schéma simple d'une situation de communication, tel qu'il est utilisé pour représenter un transfert d'information, on retrouve trois entités principales : le destinateur, producteur du message, le destinataire, et le message proprement dit. Les rapports entretenus par les deux participants avec le message sont alors de même nature : un passage du cognitif (ou conceptuel, bref du non-linguistique) au linguistique, et vice-versa. Pour reprendre un pied volontaire dans la théorie de l'information, ce sont des opérations d'encodage et de décodage, l'outil linguistique, manifesté par le message, est donc un simple vecteur de transmission de cette information. Lorsque Jakobson [19] envisage les fonctions du langage, il reprend comme base ce schéma simple et général, pour le compléter comme nous verrons par la suite.

Si ces supposées fonctions d'encodage / décodage ne sont pas réversibles, elles n'en gardent pas moins une nature similaire, reposant sur l'opposition entre linguistique et non-linguistique. Le sens premier d'un énoncé est en effet vu comme une représentation mentale initiale, devant être reconstituée par le destinataire lors de l'acte de communication, et introduit par ce biais une qualification de la communication, comme transfert accompli ou échoué de ce contenu informationnel, en supposant une comparaison des deux structures de représentation. La reconstitution en question est, en effet, une reconstruction ; on recherche ainsi toujours la même chose : l'identité entre le modèle et sa reconstitution. Tout le comprendre devient une sorte de quête d'identité, et toute la génération un problème dont la solution repose sur la possibilité de sa réversibilité.

Mais surtout, cette vision simpliste, mais sans doute insidieuse subordonne la linguistique à une description de ces structures (que nous pouvons appeler cognitives) encodées. Outre le fait que de telles structures ne sont pour l'instant pas traitées ni modélisées de façon satisfaisante, cela n'améliore pas la situation de la linguistique, dont Saussure [28] énonçait comme premier objectif de se définir elle-même. P. Siblot [29] rappelle ceci à juste titre, en considérant les rapports de la linguistique avec ces disciplines reconnues comme connexes, et parfois hiérarchisées que sont la psychologie, la philosophie, et parfois même la physique.

Certes, une vision ainsi simplifiée à l'extrême ne trouve plus beaucoup d'adeptes, surtout après une telle caricature, mais nous verrons que certaines assertions plus complexes peuvent trouver un écho dans cette constatation, et nous enfermer dans une vision restrictive de la notion de sens d'un énoncé linguistique.

C'est d'ailleurs en suivant cette vision que les formalismes classiques de représentation de connaissances en IA ont trouvé leur place dans le TALN. Moults réseaux sémantiques [8] [12], Frames [21] et graphes conceptuels [30] servirent de support aux fameux modules sémantiques des systèmes de TALN à l'architecture classique. L'activation de ces structures, initialement envisagées pour modéliser la mémoire, et justifiés (ou anéantis) par des expérimentations en psychologie, résulte alors d'un appauvrissement considérable du contenu linguistique, afin de n'en retenir que quelques concepts pré-définis et articulés par des relations pour le moins ambiguës (la plus célèbre étant le is-a des réseaux sémantiques). Ce point de rencontre, s'il rejoint la prise de position de Bar-Hillel, à laquelle s'opposait en quelque sorte le programme chomskien, n'a pas non plus arrangé les affaires d'identité de la science du langage par rapport à la psychologiegif.


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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 16:57:51 MET 1997