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Sens situé et interprétation

Reprenons alors les fonctions de Jakobson dans leur totalité. Les trois premières concernaient les deux protagonistes de l'acte communicatoire, et le <<monde>>, par la fonction référentielle. Il y ajouta ainsi des fonctions mettant en jeu des relations sociales entre les communicants, et des considérations sur le message lui-même ou le <<code>> employé. Autant de considérations qui laissent transparaître que l'acte de communication est en partie défini par un entourage régi par des systématicités variées, et que le seul message isolé de celui-ci, considéré comme il peut l'être dans les technologies de télécommunications, ne suffit plus.

Dès lors, si l'on considère comme importante cette notion de situation, la dualité linguistique / conceptuelle se complexifie d'autant plus, et la belle symétrie initiale se ternit. Ainsi, la notion de compréhension doit s'abstenir d'un simple décodage qui peut ou ne peut pas être <<efficace>>, au vu de ces données complexes. La notion d'efficacité est assurément préjudiciable à l'intérieur de la compréhension. Outre le fait qu'elle traduit une volonté de quantifier le comprendre, elle témoigne d'un attachement au test de Turing [31] qui tente de définir les approches sous le régime du succès. Or, déjà, la notion même de succès est une inférence interprétative, et peut supporter différentes définitions. Elle ramène par ailleurs le vieux mirage béhavioriste à un moment fondamental de la constitution de l'objet linguistique.

La sélection des données <<externes>> et <<internes>> au message, et leur intégration dans la signification sous-entend un rôle actif de la part du récepteur. Comme le développe F. Rastier [26], une grande part de créativité lui revient, puisque l'acte de comprendre peut également faire intervenir des données qui lui sont propres ; on parle alors d'interprétation. Son résultat n'est pas moins quantifiable (réussite / échec) que la compréhension, mais sa description peut plus aisément intégrer une notion de cohérence, plus pertinente sans doute que celle de réussite. La notion de performance ne nous informe pas plus sur une prétendue compétence que sur ses propres critères définitoires. Mais surtout, la notion d'interprétation permet d'expliquer la multiplicité des <<codes>> applicables au langage : à chacun correspond une nature d'éléments extérieurs à la réalité du texte, ou à sa propre structuration. De la notion de norme linguistique aux présupposés et objectifs de l'interprétation, en passant par les aspects historiques des interprétations <<traditionnelles>> du texte, un grand nombre de facteurs interviennent, ou du moins sont susceptibles d'être pris en compte. D'une théorie de l'interprétation on ne peut bien sûr pas exiger une explicitation exhaustive de ces aspects, mais du moins on peut en espérer une porte ouverte vers leur respect, qu'une vision référentielle exclusive rejetterait par principe.


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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 16:57:51 MET 1997