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Actualisation et virtualisation

Ces notions de normes différentes entrant en jeu dans une interprétation peuvent aisément induire des problèmes d'incohérence. Divers niveaux de systématicité peuvent en effet avoir des effets sémantiques incompatibles, qui, sans aller jusqu'aux quiproquos, doivent tout de même être gérés. F. Rastier cite à ce sujet le topos (relation d'afférence socialement normée) qui attribue une notion de faiblesse à la femme. Le sème /faiblesse/ est en effet présent dans de nombreux contextes (classiques, certes), surtout lorsque la femme est comparée à l'homme. Mais dans certains cas cette afférence est tout à fait inacceptable, notamment si le contexte la contredit explicitement, comme dans <<Jeanne d'Arc était assurément une forte femme>>. En fait, dans ce cas, les normes les plus hautes s'effacent devant les plus locales. Que deviennent alors ces sèmes <<sous-jacents>> ; si l'application locale du topos n'est plus valide, le topos n'en reste pas moins valable. Ces phénomènes se retrouvent à d'autres niveaux, en partant du système fonctionnel. Dans [24], on retrouve l'exemple de 'flic', portant le trait /vulgarité/, mais non-pertinent lorsqu'un ministre de l'intérieur déclare être << le premier flic de France >>. Le principe mis en place est donc que les assertions des normes << hautes >> peuvent disparaître en contexte. On dit alors que le sème est l virtualisé : on reconnaît sa pertinence en langue, mais son inutilité actuelle. À l'inverse, si la pertinence est valable, le trait est conservé, ou actualisé. Ces deux opérations complémentaires permettent ainsi une grande autonomie du contexte par rapport à la norme, puisqu'une des thèse de la sémantique interprétative est que tout sème inhérent peut être virtualisé, et qu'aucun sème n'est actualisé en tout contexte.

Le problème de cette grande flexibilité est double : d'une part, elle nécessite pour être mise en tex2html_wrap427 uvre une grande systématicité définitionnelle en langue, mais surtout elle remet en cause la notion même d'identité du sémème. Si un sémème en langue et son utilisation en contexte peuvent varier si fortement de par leurs sèmes, est-ce encore le même sémème ? F. Rastier a déjà répondu à cette question en distinguant les emplois, sens et acceptions, qualifiant rigoureusement les rapports entre sémèmes suivant les partages et différences sémiques.

Ainsi, si nous voulons dans notre approche nous abstraire d'un inventaire sémique exhaustif des normes supérieures, avons-nous encore besoin de ces deux notions ? Il semblerait effectivement que certaines opérations purement locales les fassent intervenir. Reprenons l'exemple de Jeanne d'Arc : on justifiera la non-actualisation de /faiblesse/ puisque dans le contexte figure explicitement un sémème, 'forte', contenant un sème incompatible avec /faiblesse/. Ce que nous pouvons discerner derrière cette opération, peut-être de mauvaise foi, est le transfert du sème /force/ de 'forte' vers 'Jeanne d'Arc'. Cette sorte de condensation sémantique, si on la systématise, revient en fait, en se basant sur des considérations syntaxiques, à détruire la structure syntagmatique, ou plus pratiquement à résumer le discours. La justification d'un tel ensemble d'opérations peut se trouver ponctuellement, si par exemple on cherche à définir la structure sémantique de l'<<acteur>> 'Jeanne d'Arc' : on résumera ainsi, via des sèmes, les attributions effectuées par le texte. Ou bien, si l'on raisonne en résolution de problème, ce transfert peut se contenter du prétexte de blocage d'afférence locale. Il est donc impératif de délimiter les conditions de ces afférences locales, au risque de les voir se répandre au sein de la théorie et de détruire la textualité même. Pire encore, la récurrence des sèmes, pivot de la notion d'isotopie si centrale, serait galvaudé, si les sèmes se propagent ainsi, les isotopies deviendraient légion et trivialité.

Pour des raisons de clarté, nous préférons suspendre ici ce débat, pour n'y revenir que lorsque l'intégralité des notions de la théorie auront été étudiées, surtout cette fameuse isotopie.


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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 17:04:33 MET 1997