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Le taxème comme typologie des sèmes : l'inhérence et l'afférence

    Le problème de la norme intervient à plusieurs autres endroits dans la théorie. Nous avons déjà vu deux types de sèmes, les génériques et les spécifiques. Les deux exprimaient des relations entre des sémèmes appartenant à une même classe : le taxème. Autrement dit, il s'établit une sorte de ruption entre deux sémèmes de taxèmes différents : on ne peut rien en dire. Mais ce n'est pas toujours le cas, la langue étant le siège de phénomènes bien plus complexes, et de relations bien plus riches que celles pouvant se mettre en place au sein d'une taxonomie comme celle exprimée par les classes sémantiques.

Deux mots à propos du principe de la taxonomie en linguistique. Ce principe a surtout trouvé une oreille attentive depuis les premières tentatives d'informatisation de la langue, sans doute plus motivées par un souci d'économie de description que d'une véritable volonté de voir ce phénomène à l' tex2html_wrap427 uvre dans le système langagier. Quoiqu'il en soit, le besoin ressenti de classer les unités lexicales au moyen de classes arborescentes, articulées selon l'apparemment simple mais véritablement vertigineuse notion du est-un. Outrepassant le fait, comme le souligne F. Rastier, que ce type de description ne s'applique naturellement qu'à une petite sous-partie de la langue (la zoologie, la botanique...), les formalismes en sont venus à utiliser des classes d'un niveau d'abstraction tel (abstrait, concret, animé, inanimé, et surtout la trop célèbre chose, ou l'objet) qu'elles en sont devenues injustifiables linguistiquement. Quand parfois le principe d'économie de cette relation d'héritage n'était pas le moteur de son utilisation, la justification des classes était liée à la forme, comme chez Katz et Fodor, mais nous en avons déjà parlé.

Revenons à nos moutons taxémiques : il n'est que trop clair qu'un découpage rigide en classes sémantiques comme l'établit la notion de taxème ne peut suffire. D'une part cela supposerait la prédominance d'une norme (quelle qu'elle soit), assortie de l'hypothèse qu'une norme locale ne peut remettre en cause les pertinences sémantiques d'une norme plus générale. En fait, le taxème ne fait qu'établir la structure d'une norme, à laquelle on donne une simple priorité, et non une dominance. La réflexion que nous proposons s'émancipe à notre avis de toute prise de décision quant à la véritable norme traduite par un taxème (dialecte ou plus local).

Dans la sémantique interprétative, les taxèmes dépendent du système fonctionnel, mais ne doivent pas empêcher le repérage de sèmes motivés socioculturellement par exemple. Cette possibilité recouvre toutes les notions de connotation, de symbolisme et autres topoï. L'attribution de la violence à la couleur rouge, attribuable sans hésitation à une norme sociale fortement stabilisée, n'est cependant pas admissible en langue, où le rouge n'est qu'une couleur, comparable au vert, jaune, bleu, et la violence une notion abstraite comparable au calme, à la paix, à l'espoir par exemple. Comment donc traduire la proximité sémantique de deux sémèmes appartenant à des taxèmes différents (et que l'on peut par anticipation supposer très distants, ne se trouvant pas eux-mêmes dans une même classe supérieure) ? Il suffit simplement d'assumer que des normes différentes, sans pour autant instaurer un nouvel arrangement parallèle des classes sémantiques, établissent des liens hors de ces classes. C'est donc ce qu'on appelle dans la sémantique interprétative les sèmes  afférents, à la différence des sèmes tels que nous les avons présentés jusqu'ici, qui instauraient des relations entre des éléments d'un même taxème, appelés sèmes  inhérents. La distinction est donc la suivante (p. 46) : <<Un sème inhérent est une relation entre sémèmes au sein d'un même taxème, alors qu'un sème afférent est une relation d'un sémème avec un autre sémème qui n'appartient pas à son ensemble strict de définition : c'est donc une relation d'un ensemble de sémèmes vers un autre>>. Il s'agit bien sûr d'une caractérisation formelle, et non pas causale, ni même une définition.

L'auteur met ensuite l'accent sur le caractère non-symétrique de la relation d'afférence. Les sèmes inhérents, tels qu'il les a définis, sont en effet des relations symétriques (identité ou incompatibilité), alors que pour un sème afférent il va falloir distinguer le sémème-but du sémème-source. Le premier est le sémème <<connoté>> par le sémème source.

Par exemple, pour exprimer le symbolisme violent de la couleur rouge, la relation d'afférence ira de 'rouge' vers 'violence', traversant donc les taxèmes. Au résultat, nous aurons un nouveau sème dans le sémème <<rouge>>, qui n'aura d'autre forme que celle du sémème-but lui-même, à savoir /violence/. Cette translation de forme est bien entendu autorisée par l'absence de contraintes liées à l'expression des sèmes.

Avant de nous intéresser aux problèmes de compatibilité entre cette nouvelle dichotomie et celle exprimée précédemment (générique / spécifique), revenons une fois de plus sur le problème de la norme. Théoriquement, l'afférence provient de normes plus locales que celles établissant les taxèmes. Peut-il en être autrement ? Autrement dit, si l'on considère que les taxèmes dépendent de normes locales, une relation d'afférence dépendant du système fonctionnel de la langue a-t-elle un sens ? Le principe est que ces relations extra-classes n'ont aucun rôle organisateur global, qu'elles ne sont pas suffisantes à une organisation des unités lexicales. En effet, plusieurs normes sociolectales d'origines différentes peuvent être à l' tex2html_wrap427 uvre dans une interprétation, mais elles ne couvrent pas à elles seules toutes les zones du lexique. De plus, l'origine de ces normes est en partie l'existence d'une stabilisation préalable sur lesquelles elles peuvent effectuer des modifications : les langues évoluent, mais elles ne se créent pas.

Au sein d'un texte, cependant, il est important de remarquer l'impact d'une norme sur l'interprétation que l'on en fait, puisque le texte lui-même en est une, et que différentes normes, même si elles aboutissent à des résultats similaires, sont elles-mêmes interprétables. Ainsi, dans notre approche informatique, nous ne pourrons nous abstraire de la reconnaissance des normes qui régissent les interprétations élémentaires effectuées par l'utilisateur à assister.

   




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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 17:04:33 MET 1997