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Domaines : vers la référence

Nous avons précédemment laissé entendre l'existence de classes sémantiques supérieures au taxème. Nous allons donc rappeler ce que l'approche interprétative propose comme classe immédiatement supérieure : le  domaine. <<Le domaine est un groupe de taxèmes, tel que dans un domaine il n'existe pas de polysémie. ... La composition et l'inventaire des domaines sont liés à des normes sociales ...>> (pp. 49-50). Il appellera également  mésogénérique le sème correspondant à un domaine, et qui est donc attribué à tous les sémèmes contenus dans ce premier.

Il s'agit donc avant tout d'un groupe de taxèmes, donc une classe qui respecte le découpage primordial. Un taxème peut-il appartenir à plusieurs domaines ? Cette question n'est pas directement envisagée dans la théorie, mais on peut trouver quelques indices ([24] p. 59) : <<En somme, dans le cas où un sémème comporte plusieurs sèmes génériques, son sème microgénérique implique son sème mésogénérique ...>> (souligné par nos soins). Comme de plus on insistera sur la possibilité qu'auront les représentants de la troisième catégorie de classes sémantiques de rompre les frontières établies par les taxèmes (et les domaines), il apparaît clairement que, tout comme les taxèmes établissaient une partition des sémèmes, les domaines établiront une partition des taxèmes (à moins que l'on n'autorise des taxèmes sans domaines).

Revenons donc au problème de la norme : les domaines dépendent de normes sociales, et leur identification se situe donc au palier sociolectal. Il est intéressant de montrer que, si les taxèmes dépendent du système fonctionnel de la langue, les afférences (sociales ou plus locales) donnaient déjà une possibilité de s'affranchir de leur découpage. Les domaines, qui organisent les taxèmes, dépendent également de normes sociales, nous ne pouvons donc nous contenter de considérer l'impact des différentes normes comme régi par une hiérarchie qui irait naïvement du plus général au plus particulier, chaque norme de niveau n ne pouvant que spécifier les organisations sémantiques d'un niveau n+1. Tout ceci ne nous éclaircit décidément pas sur ces notions envahissantes... Il semble cependant que la stabilité des normes liées aux domaines soit très forte, puisque l'auteur indique que certains domaines sont attestés dans les dictionnaires, comme //alimentation//, //militaire//, etc. Il est donc envisageable de construire a priori un ensemble stable de sèmes mésogénériques, à des fins d'automatisation de leur repérage, mais la question qui se pose alors est celle de la pertinence dans une analyse. Une simple suggestion d'utilisation de ces sèmes est plus acceptable.

Le principe de la non-polysémie à l'intérieur d'un domaine semble plus un constat qu'une assertion identitaire. Les cas cités sont classiques : `chinois', placé dans le domaine de l'alimentation, n'offre plus la confusion avec une nationalité asiatique.

Par contre, un aspect intéressant des domaines, que nous retrouverons dans l'isotopie, est la notion d'impression référentielle. La stabilité socioculturelle du découpage de l'univers référentiel par ces classes sémantiques induit des effets de référence. Ces effets sont atteints, via la répétition le long de la chaîne syntagmatique, de sémèmes relevant d'un même domaine, comme le cas de la phrase <<L'amiral fit carguer la voile>>. L'établissement du domaine //navigation// se fait aisément par la spécificité des trois termes principaux, et permet aisément de traduire une réalité extra-linguistique. On retrouve en quelque sorte le principe de Sapir-Whorf sur le découpage du réel par la réalité linguistique. Ce principe attribuable à toute notion de classe sémantique est d'autant plus fort que la norme sociolectale est prépondérante.


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Ludovic TANGUY
Fri Dec 5 17:04:33 MET 1997