Les considérations précédentes prenaient l'isotopie comme un fait
accompli, même dans son aspect d'organisation des structures
sémantiques. S'y limiter renierait outrageusement à la fois la réalité
de l'acte interprétatif et nos intentions théoriques. Une isotopie se
construit avant tout, et ne se manipule qu'ensuite. La simple
association sème-sémèmes, si elle peut suffire à une description
sommaire du texte, ne constitue en fait qu'une première intuition de
sa structure : elle ne fait que tracer les grandes lignes le long
desquelles l'interprétation proprement dite prendra son ampleur. Nous
nous refusons d'ailleurs à nommer ce premier type d'associations une
isotopie, et nous l'affublerons par la suite du néologisme de
pré-isotopie. Lors de la principale phase du processus
interprétatif (qui a commencé dès lors que l'on a identifié des
sémèmes), cette pré-isotopie va devoir obtenir son statut d'isotopie,
donc de justifier l'attribution qu'elle fait d'un sème à des
sémèmes. La prise en compte du contexte et des intentions de
l'interprète comme justification des classes sémantiques se placera à
cet endroit dans le processus : nous considérerons que les premières
intuitions du lecteur serviront de cadre d'exploration. Ainsi, les
pré-isotopies initialement repérées (et c'est seulement pour ces
phénomènes que nous parlerons de pré-isotopie), acquerront donc
a priori un statut d'isotopie générique (du moins à fort taux
de généricité). À partir de ces classes initiales, une des premières
opérations du processus interprétatif sera la mise en place des
oppositions structurant ces taxèmes, et vont donc conduire au repérage
de sèmes spécifiques, donc à des isotopies spécifiques. Le processus
interprétatif va donc construire la complexe structure de classes et
oppositions que nous avons vue précédemment, et par là-même donner
naissance à de nouvelles isotopies, dans un cycle créateur que l'on
peut supposer infini, ou du moins asymptotique par rapport à un
idéal de stabilité interprétative. Il nous faudra tout de même
identifier des étapes dans ce processus durant lesquelles des phases
d'évaluation (selon les critères récemment répertoriés) auront lieu.
Nous pouvons d'ores et déjà résumer les premières étapes d'un
processus interprétatif dans le schéma .
Quant au rôle de la machine, il sera celui d'un arbitre, disposant d'un ensemble de règles à faire respecter, évitant des incohérences et des confusions. Elle sera garante de la préservation de l'identité sémantique des constituants. Les contraintes, pour être respectées, entraîneront bien souvent l'utilisateur à << en dire plus >>, le motivant dans son explicitation, et pouvant ainsi provoquer le repérage de notions sémantiques jusqu'ici ignorées par l'interprète.
Figure: Premières étapes du processus interprétatif